Après avoir lu et décortiqué Un tramway nommé désir, je me suis lancé à découverte de la deuxième pièce la plus célèbre de Tennessee Williams, La chatte sur un toit brûlant. Un dispositif scénique complexe, une multitude de personnages, une intrigue formée de plusieurs fils narratifs : cette œuvre jure avec le minimalisme d’Un tramway nommé désir. Je l’ai cependant trouvée plus vivante, vraie de cette vérité palpitante et en même temps irrésolue qui est, en fait, la vie tout court. L’intrigue se tisse autour du sort de Brick, fils d’un entrepreneur agricole puissant, ancien joueur de football, devenu par la suite reporter sportif et, tout dernièrement, alcoolique désœuvré, et de son épouse Maggie, la « chatte » en question. Brick boude la couche de sa femme depuis longtemps, et le dramaturge nous laisse incertains sur les raisons de cette abstention. D’une part, le moment où Brick sombre dans la boisson coïncide avec le suicide de son meilleur ami et partenaire de jeu, Skipper. On apprend que Skipper nourrissait des sentiments amoureux envers Bricks, un fait que celui-ci s’évertuait à ignorer ou à minimiser jusqu’au moment où son ami déclare ouvertement ses sentiments. Bien que Brick se dise lui-même exempt d’une telle attirance envers son ami, sa souffrance incurable et son absence de désir envers Maggie laissent soupçonner le contraire. Dans tous les cas, c’est la non-réciprocité de l’amour de Skipper qui a précipité ce dernier vers le suicide, ce qui a à son tour enclenché la déchéance de Brick. Quoique faisant l’objet d’une indifférence blessante, Maggie persévère dans son amour inconditionnel pour Brick, elle n’en démord pas, s’incruste, ne désespérant pas d’obtenir ce qui paraît impossible, telle une chatte sur un toit brûlant qui s’ingénue à y rester.
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| Affiche d'un spectacle de Claude Maher. Source: duceppe.com. |
Aux antipodes du couple de Brick, celui de son frère, Gooper, et de son épouse fertile Édith, illustre parfaitement l’éthos petit-bourgeois : glorification bornée de la fécondité, du gros bon sens, cupidité éhontée, insensibilité. Même si Gooper et Édith incarnent, du moins en surface, une famille digne d’hériter de la fortune mirobolante de la famille, le patriarche de la famille, Grand-père, de même que sa femme, Grand-mère, ne les porte guère dans leur cœur et leur préfèrent de loin Brick et Maggie, qu’ils trouvent sans doute plus vrais.
Enfin, Grand-père apprend la nouvelle de sa mort prochaine (un cancer avancé) et n’a pas le choix de désigner au plus vite son héritier. C’est l’imminence de ce choix qui pousse Brick et Maggie à forger un mensonge commun : celui de la grossesse de Maggie. Un mensonge qui fait naître l’espoir d’une nouvelle vérité. La pièce se dénoue sur la perspective de plus en plus plausible d’une renaissance de Brick, de son désir pour Maggie, et donc de la venue au monde d’une progéniture pour le couple. On se demande quand même si ce désir ravivé est le fruit d’un amour qui reprend du poil de la bête ou plutôt d’un accès de compétitivité face à la bêtise arrogante de Gooper et d’Édith. Ces derniers apparaissent comme une plaie dans l’univers de la pièce, comme une maladie dont il faut à tout prix enrayer la propagation. Témoin le comportement de Grand-mère, qui se montre alarmée par la perspective d’une ascension de Gooper et intransigeante dans son rejet de ses revendications. Serait-ce donc par une sorte de devoir filial, voire de devoir humain, que Brick se met à souffler sur les braises de son élan vital, secondé par sa femme? Quoi qu’il en soit, le texte s’achève sur une note optimiste qui m’a rassuré.
Volume consulté : Williams, Tennessee, Un tramway nommé désir, adaptation de Paule de Beaumont, dans Williams, Tennessee, Un tramway nommé désir, La Chatte sur un toit brulant, coll. Livre de Poche, Robert Laffont, 1958.

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