
Voici mes impressions d’un album d’Iggy Pop des années 1970, le fameux New Values, dont le succès à l’époque fut relatif, mais qui est néanmoins un album assez fin est subtil. L’instrumentation est typique du glam rock à la David Bowie de la même époque, mais Iggy pousse l’expérimentation un peu plus loin, créant des paysages sonores et esthétiques qui frisent le post-punk. Les paroles sont évocatrices, ambiguës, riches en possibilités et en même temps très terre-à-terre, quotidiennes, expédiées dans l’urgence et l’inconfort d’une vie ouvrière. Car, dans plusieurs chansons, Iggy évoque sa condition d’ouvrier, et c’est dans ce sens, un album qui revendique une appartenance politique gauchiste. Les nouvelles valeurs du titre seraient le mirage d’une vie plus heureuse et plus juste pour tous.
1. Tell Me a Story
Coups de cœur : 5 sur 6
Chanson dont la forme évoque les Rolling Stones. Pensées décousues, chaotiques. D’emblée, nous sommes conviés dans un monde aux prises avec la subsistance, un monde de privations et de difficultés : le héros n’est pas de ceux qui peuvent se permettre de partir en vacances. On se croirait dans un film, tellement les images sont prégnantes.
2. New Values
Coups de cœur : 6 sur 6
Je suis en bonne santé, mais il n’y a rien à faire, aucune nouvelle valeur à l’horizon, c’est le calme plat et c’est bien plate, nous dit le personnage. Musicalement, on se rapproche de Joy Division, un versant plus rock’n’roll tout de même.
3. Girls
Coups de cœur : 4 sur 6
La musique est un glam rock à la Bowie, rien d’exceptionnel, mais entraînant quand même. Les paroles font mine de ne rien dire, d’être un assemblage de phrases creuses sur un sujet on ne peut plus trivial dans une chanson de rock’n’roll. Pourtant, on sent une ironie subversive s’infiltrer dans chaque ligne et instiller le doute. Cela commence à s’éclaircir vers la fin, où la citation de Summertime de Gershwin prend une dimension passablement caustique : « Your dady’s rich and your mamma’s good looking ».
4. I`m Bored
Un des cartons de l’album, un hymne à la jeunesse, mais une jeunesse qui est, paradoxalement, à la fois blasée et défavorisée, en proie à un spleen dont Iggy se fait le chantre depuis les Stoogies (je pense à No Fun). En effet, l’ennui est un leitmotiv de l’album.
On se croirait dans CBGB, où la viscosité est une valeur esthétique.
5. Don`t Look Down
Coups de cœur : 5 sur 6
La chanson évoque en permanence un son loufoque ou extatique : « crazy sound ». Elle nous invite à ne pas désespérer, malgré l’ennui mortel qui nous étrangle, faisant ainsi suite au morceau précédent.
6. The Endless Sea
Coups de cœur : 6 sur 6
Avec cette pièce, l’album entre dans sa deuxième phase, plus glauque, plus inquiétante mais ô combien impressionnante. Un univers dystopique où la pollution de l’air est assimilée à une mer sans fin, où la mer n’évoque ni le calme ni le bien-être mais la perte de repères, la perte tout court. Les réalités quotidiennes refont surface : le héros a de la difficulté à joindre les deux bouts, à payer son loyer, et son existence tout entière est au service de la « bourgeoisie ». Quand il parle de rentrer au bercail (« go home ») parle-t-il de la mort comme d’un retour au lieu originel, une voie de sortie du monde pénible qui est le sien?
7. Five Foot One
Coups de cœur : 5 sur 6
Le héros mesure 155 cm (5,1 pi). Un petit homme qui fait des quarts de nuit dans un parc d’attractions et dont le seul plaisir semble se cacher dans les magazines érotiques (« Swedish magazines »). Les tristes et pourtant bien réelles réalités d'un capitalisme qui laisse de nombreuses personnes en rade.
8. How Do You Fix a Broken Part
Coups de cœur : 6 sur 6
Musicalement, pièce fort intéressante, riche en revirements, cumulant plusieurs genres et s'aventrant dans plusieurs sens à la fois. Assez post punk comme approche.
On parle de la blessure, de la difficulté à guérir, à réparer le mal causé. Iggy est un être sensible. « Pourriez-vous me remettre à flot, les gars? » Fait notable, il s’adresse à des garçons, c’est eux qu’il tient pour responsables de sa blessure, en quelque sorte. C’est eux l’instance compétente, celle qui est censée régler les dysfonctionnements du monde, puisque c’est eux qui le gouvernent.
9. Angel
Coups de cœur : 5 sur 6
Une ballade poignante et bouleversante à la Lou Reed. Une lettre d’amour doublée d’un aveu d’infidélité incorrigible. Il remercie son être aimé, son ange, tout en lui avouant avoir besoin de quelqu’un d’autre.
10. Curiosity
Coups de cœur : 4 sur 6
Un autre morceau à la Stones, mais plus déjanté, ce qui le rapproche de Lou Reed. Composition un peu quelconque, mais les paroles sont de nouveau assez curieuses, c’est le cas de le dire. L’amour né de la curiosité est une voie vers le malheur. Le récit se poursuit, apparemment. Au délaissement de l’ange de la chanson précédente succède un malheureux penchant fouineur.
11. African Man
Coups de cœur : 5 sur 6
Cette chanson a valu a Iggy des récriminations en matière de racisme. En effet, elle laisse place à de tels soupçons, mais mon ressenti personnel est qu’il n’en est rien. On ferait mieux de parler de maladresse. Il est vrai que l’Africain est ici un moyen métonymique de parler du « sauvage ». Cependant, cette qualification de « sauvage » ne viendrait pas du chansonnier lui-même, mais de la société blanche et occidentale, qui tente de conquérir et d’usurper la jungle en y envoyant ses machines. Devant cette agression « civilisatrice », Iggy, qui incarne ici le sauvage en question, se cabre avec vigueur. Une mini-performance tout aussi bouffonne que subversive dont Iggy a le secret.
12. Billy Is a Runaway
Coups de cœur : 6 sur 6
Une chanson punk qui raconte l’histoire d’un voyou toxicomane ayant fui sa famille, au point de ne plus reconnaître sa sœur, pour basculer dans le déshonneur. Visiblement, un ami du narrateur.
13. Chains
Coups de cœur : 4 sur 6
Du rock miteux parsemé de paillettes qui revient sur le thème de la dépression qu’on avait abordé dernièrement dans Don`t Look Down. Eh bien, la dépression est toujours dans les parages. Elle guette le héros, l’angoisse au point de lui faire déclarer qu’il voue un amour à ses chaînes, qu’il ne veut plus s’en départir. J’ai oublié de préciser que, dans Billy Is a Runaway, le narrateur était un employé, donc aux antipodes du fugitif Billy, même s’ils appartiennent à la même classe sociale. Les chaînes en question seraient peut-être celles du « droit chemin », le sentier battu du conformisme social et économique.
14. Pretty Flamingo
Coups de cœur : 5 sur 6
La dernière chanson est une ritournelle sucrée qui met en musique une autre lettre d’amour, cette fois carrément grotesque, qui s’adresse à un être tout à fait fantastique: non plus un angle, mais un flamant. Le flamant rose est gracieux, mais clinquant. On est dans l’univers du kitsch. Une ballade punk dans tous les sens du terme.
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