Passer au contenu principal

Kurt Vile & The Violators + The Sadies : la fougue sereine

*

Février 2019

Montréal fut la deuxième escale dans la tournée nord-américaine de Kurt Vile & The Violators en compagnie des Torontois The Sadies. Le folk-rocker indé inimitable, membre fondateur de The War on Drugs qui poursuit actuellement un projet solo de plus en plus connu, nous a offert un spectacle inoubliable devant une salle pleine à craquer, le 15 février 2019 au MTELUS.


The Sadies, en première partie, avec leur country débridé, composé et joué avec grâce, ont aimanté le public, qui leur a réservé un accueil digne d’une vedette de soirée.

Après un entracte qui nous a paru un peu plus prolongé que de coutume, le band philadelphien s’est faufilé sur scène, avec Kurt en tête. Ils ont empoigné leurs instruments et, sans préambule, ont fait jaillir le premier carton de leur dernier album, Loading Zones

Nous avons été immédiatement transportés dans l’univers nuageux de leur « dirty little town » que la vidéo nous avait déjà fait entrevoir.

Non seulement il n’y a eu aucun écart entre le sentiment impulsé par l’album et la performance scénique, mais le spectacle a étoffé ce sentiment. En concert, le groupe est beaucoup plus authentique. On peut beaucoup mieux les comprendre en les regardant jouer. L’impression qu’on éprouve en écoutant leurs pistes et surtout en regardant certaines de leurs vidéos, une impression d’autodérision, de recul bouffon, disparaît sur scène. On comprend que c’est bien la production qui aiguille le groupe dans cette avenue, un peu à l’opposé de sa nature. Kurt et ses contrevenants incarnent bien ce qu’ils chantent, avec sérieux. Ce n’est pas qu’ils se prennent trop au sérieux, mais ils ont l’air de croire dans ce qu’ils disent, qu’ils y mettent du leur, et cela ne reste pas inaperçu du public. Le minimalisme de l’ancien conducteur de chariot élévateur a des vertus curatives; il redessine les contours d’un monde en voie de dissolution, il le repêche de la mare de l’indifférence et nous l’offre sous une forme tangible, à notre portée. Son introversion spontanée n’a aucunement alourdi la présentation. Il avait l’air embarrassé et gauche, n’a proféré que très peu de mots, mais j’avais la sensation de l’avoir écouté parler sans arrêt. Le jeu du groupe était excellent, à la fois emporté et maîtrisé, ce qui pour moi est le propre des grands musiciens. Les chansons plus rêveuses, celles qui portent à la méditation, comme Skinny Mini, étirées et aucunement radiophoniques, n’ont point été bannies du programme, chose que j’ai adorée.

Je n’ai pas réussi à m’acheter un vinyle ou un T-shirt, mais j’ai acheté un CD, en magasin, le lendemain du concert. La pochette de l’album et le livret inclus sont un petit trésor. Ils contiennent les paroles de toutes les chansons sauf la dernière, et des photos à la bonne franquette de Kurt au studio.

On n’a pas senti le temps filer quand le groupe en est venu à sa dernière pièce du programme principal. Bien sûr, le public a exigé un bis, et le groupe ne s’est pas fait prier. Ils s’étaient sûrement doutés qu’ils seraient rappelés, puisque c’est bien sur Pretty Pimpin, un de leurs grands succès des albums précédents, qu’ils sont repartis. Après quelques pièces contemplatives, le concert a pris fin dans la grâce. Une sensation de sérénité s’est fait place en moi – chose rare après un concert rock (aussi démodé que ce mot puisse sonner aujourd’hui). C’était fougueux et serein en même temps. Tout comme les parties de slam ce soir-là, qui se faisaient sourire aux lèvres, sans violence, la paix dans l’âme.

 



Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Dope Lemon à Montréal

Il y a environ 10 ans, je suis tombé sur une suggestion de YouTube qui m’avait impressionné profondément, s’insinuant subtilement dans mon imaginaire. C’était la vidéo de Honey Bones , une vision onirique, aussi béate qu’inquiétante, où l’on voit plusieurs jeunes femmes danser devant le regard alangui de la caméra, en contrehaut, dans une sorte de rituel incantatoire, comme si nous, le spectateur, étions couchés par terre, au détour d’une hallucination qui déteint sur la réalité. La chanson elle-même, mélopée sensuelle épousant la voix nasillarde et mélancolique d’Angus Stone, se déroulait comme un serpent dansant sur fond d’accords décontractés. Un monde qui retient son haleine, monotone, sans vague, mais où perle une pointe de malice. C’était d’une simplicité puissante, bien articulée, et même si la vidéo comme la chanson n’avaient rien de particulièrement original, ils laissaient une trace durable dans l’esprit. Je revenais souvent vers cette vidéo, ne résistant pas à l’envie de...

Emmanuelle Pierrot, La version qui n'intéresse personne

Un page turner , écrit à la façon d’un thrilleur, accrocheur, bien rythmé, plein de suspense. Le roman soulève des interrogations inquiétantes d’une brûlante actualité : le sexisme qui perdure, à peine décoiffé malgré des décennies de luttes féministes, omniprésent jusque dans les communautés dites alternatives, qui se font souvent fortes de porter des messages progressistes d’égalité et de respect. À Dawson, village yukonnais associé volontiers à la Ruée vers l’or du Klondike, d’un charme touristique certain, l’héroïne du roman, Sasha, une punk montréalaise, s’y établit avec son ami d’enfance Tom, entourée de ses amis punks et anarchistes, tous arborant fièrement leurs convictions gauchistes.  Au fil des pages, le climat placide qui règne parmi les amis s’assombrit progressivement, et Sasha finit par devenir la cible d’une cabale cruelle aux motivations sexistes.  La communauté progressiste s’adonne sans trop de gêne à un ostracisme implacable dès lors qu’une personne est res...

Ralph Ellison : Homme invisible, pour qui chantes-tu?

Paru en 1952, ce roman fait partie du canon littéraire américain, et son auteur a sa place au panthéon littéraire du pays. Souvent cité comme étant le premier roman moderne publié par un auteur afro-américain, il entre en dialogue avec de grands mouvements de son temps tels que l’existentialisme, le théâtre de l’absurde, le surréalisme, etc. tout en s’inscrivant dans un contexte historique bien précis : le mouvement des droits civiques. À la fois social et personnel, historique et psychologique, réaliste et onirique, c’est un texte remarquable tant par son style que par l’originalité de son intrigue. Le roman gravite autour du grand thème du racisme, mais plutôt que de s’en tenir à ses manifestations extérieures, économiques et sociales, il scrute ses séquelles individuelles, les traumatismes profonds et les distorsions qu’il inflige à ses victimes. L’invisibilité est, on l’aura deviné, une métaphore de l’effacement, de la déshumanisation des Afro-américains.  C’est un récit initia...