Printemps 2018
Eux autres (Montréal, Christian Feuillette éditeur, 2006, 178 p.) est un recueil de nouvelles de l’écrivaine québécoise d’origine bulgare
Sonya Anguelova (c'est ainsi qu'elle signe ses autres textes). C’est son seul recueil de nouvelles proprement dites, à côté, entre autres, du roman Sans retour, des recueils de
miniatures (sortes de poèmes en prose) Abécédaire
des années d’exil et Ce qui
demeure et du recueil de poésie Totems. Une bibliographie exhaustive est proposée sur le site L'Île. Les nouvelles procèdent pour la plupart de l’observation des autres, des
personnes que l’auteure prend pour objet d’écriture, et plus particulièrement
des représentants de la société québécoise. L‘angle depuis lequel cette
observation s’effectue est variable et agile au fil des pages. Dans certains cas,
l’attention se déplace vers le sujet de l’énonciation qui se lance dans l’introspection.
La posture de l’auteure est tantôt engagée (en notamment un engagement
socialiste assumé si problématisé, dans La
socialiste attardée, Le concierge,
Bol, La flûtiste, Le cordonnier, Les débutantes), tantôt existentielle (Le
soldat) et parfois colorée d’humour (Droguée,
La prématurée, La coquette, La sophistiquée). Mais, tout compte fait, c’est
l’engagement social qui prédomine. La narratrice se rebiffe contre la
discrimination ethnique, la xénophobie, l’exclusion des immigrants (Tannée, Billy, Les sales et le propre, Ces
gens-là), dénonce divers aspects de la société québécoise (Le vrai mâle, Malade, que j’ai aimé
particulièrement, La sorcière, Le critique de théâtre, Les oubliés), donne
la parole à sa dignité féminine intransigeante qui pourrait dialoguer de façon
intéressante avec l’effervescence féministe que connaissent les derniers mois (L’amoureuse, L’indépendante, La meurtrière,
Mercedes). Malgré cette polyvalence du discours, le recueil laisse
percevoir un certain mouvement d’ensemble, comme s’il s’agissait d’un long récit
fragmenté et impressionniste, celui de l’immigration de l’héroïne (qui est sans
doute un double littéraire de l’écrivaine). Ce fragmentaire, bien américain d’esprit,
est le même que l’on retrouve dans les autres œuvres d’Anguelova, mais la
particularité de ce recueil est la présence plus prononcée de l’humour. Déployant
une langue riche et précise qui vient étoffer la simplicité gracieuse de la narration,
les textes se lisent d’une traite, intriguent, amusent, rendent complice tout
en préservant une honnête crudité et une modestie qui font du bien au lecteur
fatigué d’un monde artistique de plus en plus fanfaron. La dernière nouvelle, La fille prodige, partage les traits de toutes les autres et clôt l'ensemble d'une manière significative (elle dialogue, au niveau thématique, avec le roman Sans retour dont elle complète la fable).
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