Printemps 2022
Roman tortueux et difficile à lire, mais aussi accaparant qu'un thriller américain. Ce n'est pas étonnant quand on parle de Balzac. Il me sera difficile de consigner toutes mes impressions, tant elles sont protéiformes. Je me limiterai à quelques phrases.
La glaise et les paludiers de la Bretagne, mystique et d’un pittoresque sobre et d’autant plus enivrant. Pour avoir visité la Bretagne, je peux absolument ressentir l’émotion. La famille simple, orthodoxe, désuète de Calyste. J’aime cette mentalité-là (je ne suis pas d'obédience conservatrice, je vote à gauche). Cette volonté de droiture morale combinée à une bonté simple, à la bonne franquette. Cela s'applique-t-il à la Bretagne d’aujourd’hui? J’ai trouvé ces images très puissantes. Le personnage de Camille Maupin est également complexe, mais vivant, réaliste.
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| Adrien Moreau - Honoré de Balzac, Béatrix. Philadelphia: George Barrie & Son, 1897 |
À partir du moment où Béatrix fait son apparition cependant, j’ai eu l’impression que l’action s'accélérait un peu trop et laisser un arrière-goût de travail expédié. Comme si l’auteur avait hâte de finir son bouquin et de passer à autre chose. Les personnages deviennent simplistes, désincarnés, presque caricaturaux. Par exemple, l’extrême naïveté de Calyste me paraît exagérée, impossible à imaginer dans la vraie vie, surtout à côté de la froideur singulière de Béatrix, une vaurienne impénitente (même si cela paraît moins dans la première partie). Ce n’est pas que de telles toquades malheureuses ne se produisent pas dans la vie, mais sans connaître la pleine profondeur de l’âme des personnages, sans pouvoir s’expliquer leur comportement, il est difficile de prendre ce récit comme autre chose qu’une caricature ou qu'une pochade.
L’inconstance de la posture éthique de Balzac m’a frappé plus que jamais. Il est tantôt compatissant à l’égard de ses personnages victimes, tantôt railleur, tant leur étourderie est excessive. Il condamne les vauriens tout en s'émerveillant devant leur habileté.
Son discours est truffé de formules ampoulées qui ont l'air de venir la bouche de ses personnages plutôt que de la sienne. Par exemple, le fait de désigner Béatrix par « cet ange » tient du persiflage, car on pressent déjà qu’elle est tout sauf un ange. L’auteur se moque discrètement de tous ses personnages, ce qui l’érige en arbitre de dernier ressort. Plus intelligent que nous tous, c’est lui qui mène le bal.
Pour moi, le génie de Balzac n’est pas tant dans les intrigues, les portraits ou même dans la langue (certains passages sont un peu charcutés ou indigestes; le texte ne semble pas avoir été suffisamment révisé), mais bien dans les envolées lyriques et philosophiques, de même que dans ce désir d’empathie qui le pousse constamment à se rapprocher de ses héros, au point de fondre avec eux, de les habiter. Enfin, on y sent aussi quelque chose de vibrant et de chaleureux qui s’explique mal par la raison au sens étroit. Serait-ce un sentiment religieux?

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