Septembre 2022
L’enfant chargé de songes, c’est l’être humain lesté de complexes, de fantasmes et de délires. L’enfant traumatisé par son éducation, conçue pour le protéger du monde et de la réalité. Ces « songes » sont le fruit d’un attachement maternel démesuré : un amour jaloux et impitoyable qui tue la vie dans l’œuf, de peur qu’elle ne prenne son envol et ne quitte le nid maternel. La mère, Pauline, citadine ayant échoué à la campagne, non par amour de la vie rustique, mais par simple volonté de se conformer à ce qui semble constituer la mode du moment (vivre près de la nature), est transie d’effroi face à la vie, dont témoigne sa phobie des insectes (et des jeunes filles rebelles, véritables guêpes d’octobre). Pauline tente par tous les moyens d’inculquer cette peur à ses enfants, Julien et Hélène, mais n’y parvient pas vraiment : ils découvrent la tentation de la vie démuselée grâce à Lydie, une femme fatale qui sensibilise les enfants aux frissons du danger et précipite la famille entière vers la souffrance, la destruction ou la mort : mort subite et corporelle dans le cas d’Hélène et sa mère, désirs inassouvis et fantasmes qui empoisonnent la vie de Julien.Même si les figures de la mère autoritaire et du fils bâillonné sont une constante dans l’œuvre d’Anne Hébert, ici la configuration sémantique se présente différemment. C’est un motif patriotique qui transparaît dans le contraste entre, d’une part, Lydie et la Parisienne inconnue (le luxe de la culture européenne, à la fois fascinant et morbide) et, d’autre part, la simplicité saine et vivifiante d’Aline et de son Nouveau-Monde. Heureux de retrouver son Canada natal, avec ses couleurs et ses mœurs crues, sa nature indomptée et indomptable et sa droiture morale, Julien tourne le dos à la Parisienne dépravée et suffisante qui n’a alors qu’à entreprendre la séduction de sa prochaine capture, tout comme Lydie l’avait fait des années plus tôt. Il ne s’agit cependant pas d’un texte simpliste ou naïf, comme les lignes que je viens de jeter sur la page peuvent le laisser croire : Lydie, Pauline, la Parisienne et même Julien sont des personnages nuancés, complexes, humains, vivants.
La morale de l’histoire n’est pas univoque non plus. On dirait qu’une force obscure et maléfique conduit les personnages à leur perte, un peu à la manière d’Ysa dans une des nouvelles du recueil Le torrent. Les personnages d’Hébert sont des âmes damnées, victimes d’un monde qui les dépasse et se joue d’eux. Un imaginaire presque gothique (celui de l’inhumain, de l’insensible, du brutal) se dégage de l’écriture.

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